Brins de vie
Je quitte le lycée Ben-Aknoun d’un pas rapide, tout heureux de fuir l’enfermement. Je ne prendrai pas le trolleybus qui me déposerait plus rapidement Place du Gouvernement où m’attendrait le tramway du bas. Il fait beau et j’ai choisi de marcher. Cela me permet de réaliser l’économie de deux tickets de transport que j’investirai dans une prochaine viennoiserie. L'air ensoleillé, légèrement rafraichi par la brise qui remonte de la mer, me donne une envie folle de liberté après cette semaine de réclusion en pension. Depuis la hauteur qui domine la cité et son port, je commence à dégringoler le vallon.
Vieillir
Abandonner l’Olympe en descendant ses marches,
Hésiter longuement pour en franchir les arches
Et découvrir, inquiet, un sinistre val sombre
Au mystérieux chemin qui s'enfonce dans l'ombre.
Arpenter ce terrain, contrôler son avance
Sur un roc inégal, choir en désespérance,
Se méfier du sentier où l'on doit s'engager
Et redouter alors de s'y décourager.
Une petite échoppe, un misérable magasin de vente de pâtisseries orientales, une boutique pas plus large qu’une porte, a eu le malheur de croiser le chemin des plus excités. C’est au cri de "l’Algérie aux Français, mort aux Arabes !" qu’une tornade, voulue vengeresse ravage les lieux. La vitrine est brisée, les gâteaux sont jetés sur le trottoir, les différents ingrédients sont éparpillés à tout vent.
Tout est prêt sur la table de la cuisine. Chaque soir, je redoute un matin au réveil pénible, un de ces matins difficiles où mon apathie plus forte que mon envie verrait ma paresse négliger cette petite fête. Pour éviter les conséquences de cette éventuelle inertie, avant de me coucher, j’installe bol, serviette, couverts, beurre et confiture sans oublier l’eau dans la bouilloire ni le grille-pain. J'accorde une grande importance à mon grille-pain, non pas qu’il soit particulièrement beau ni piloté par l'intelligence artificielle, mais il est au cœur du dispositif de ce petit déjeuner.