top of page
Michelle-Mauresque_edited.jpg

Algérie de mon enfance

A l'âge où la vie a déjà tracé notre destin,

les souvenirs hantent puis harcèlent, jours et nuits,

en vagues successives
jusqu'à entraver le cours du quotidien.

 

Les retours sur l'enfance et l'adolescence

perdues dans une autre vie, dans un autre monde,

heurs et malheurs du vécu,
déposent sur la feuille blanche des bribes du passé
et viennent délivrer des soucis de l'antan.

 

Ils révèlent l'enfant qui a pu être

et dévoilent l'adulte qui a dû devenir.

1981-Tipaza-LesRuines-Ja.jpg

Tipaza

1960

Il vient toujours un moment où l’on a trop vu un paysage, de même qu’il faut longtemps avant qu’on l’ait assez vu.

 Albert Camus, in “Noces à Tipaza”

​

Il est 17 heures. Je quitte l'école et mes cahiers.

Sous la protection lointaine du massif du Chenoua, je flâne vers les restes romains de l’ancienne Tipaza.

Au pied de la colline, les pierres ocres alignées plongent dans la mer et se fondent dans l’eau teintée d’argent.

La lumière orangée tourbillonne entre les pavés disloqués qui jonchent le sol de leurs cadavres modelés.

Les absinthes, le thym, le serpolet et autre marjolaine mêlent leurs parfums en un nuage odorant qui glisse sous les arches et coule le long de l'antique voie.

Les aloès foisonnent et dressent, pour certains, une fière hampe florale qui annonce leur fin prochaine.

D'immenses jarres rondes, entières ou blessées par le temps, viennent rompre la ligne rude des maçonneries et des pins.

Assis sous la pinède, je laisse mon regard caresser tous ces vieux vestiges.

Et, soudain, tout reprend vie.

Les boutiques sont ouvertes, les chalands traînent de l'une à l'autre, des ménagères chargées de leur provisions rejoignent leur rue et les chars militaires sautent sur les pierres disjointes en suivant difficilement leurs chevaux.

Tout disparaît sitôt dans la poussière de l'histoire.

Je jouis des lumières qui s'estompent à travers pins pour aller se noyer dans l’eau.

L'odeur de la résine, rafraîchie par la nuit qui arrive, supplante celle de la garrigue estompée par l'ombre.

Je profite encore de cet instant magique où les dieux de l'antique chuchotent derrière les pierres.

Il est temps de rentrer.

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,

Dans la nuit éternelle emportés sans retour,

Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges

Jeter l’ancre un seul jour ? ...


​

Alphonse de Lamartine, Le Lac, Méditations poétiques

bottom of page