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Préface

 

Ce livre est d’abord un livre de souvenirs. Les souvenirs d’une enfance et d’une adolescence pied-noir, en Algérie, entre 1940 et 1962. Et, il n’y a pas meilleure façon de parler de ce travail de mémoire que celle, admirable, de l’auteur lui-même ? : « A mesure que les souvenirs émergent, d’autres remontent du magma de l’oubli en bulles plus ou moins opaques qui éclatent aussitôt arrivées à la surface, dissipant de suite leur frêle contenu, qu’il faut vite saisir avant de les voir s’évaporer dans l’éther de ma mémoire ».

Eh ! bien, Philippe BOURGOIS est magistralement parvenu à saisir la moindre de ces « bulles » avant qu’elle n’éclate et à nous la livrer dans un ouvrage magnifique de clarté, de sensibilité, de clairvoyance et de beauté, un ouvrage très agréable, qui se lit aisément.

 

Je crois que, dans toute existence, les souvenirs liés à cette première et essentielle partie de la vie se situent toujours dans une sorte de pénombre, de clair-obscur, où se mêlent ombres et lumière au gré des événements. De toute évidence, c’est le cas pour « Dans les sables de l’oubli » (titre ironiquement paradoxal pour un livre consacré à la mémoire !?) qui oscille sans cesse entre des moments très lumineux et heureux et des périodes plus sombres et obscures, sous l’égide d’une violence latente, en passant par toute la gamme des doutes, des angoisses, des déceptions, des désillusions, des incertitudes, des échecs et des souffrances.

 

L’auteur a vécu avec bonheur le vert paradis de la petite enfance, l’amour inconditionnel de ses grands-parents, les Noëls familiaux, l’osmose avec la nature, en particulier l’eau et la mer, l’éveil de la sensualité (ah ! les premières figues !) et bien d’autres merveilleux moments de découvertes.

 Mais, très tôt, il souffre de la dureté excessivement exigeante, parfois même violente, de son père, et d’une tendresse trop rarement exprimée par sa mère, par ailleurs attentive et irréprochable. Après des désaccords graves, puis des violences conjugales, ses parents finiront par divorcer, générant pour le jeune enfant une période très pénible de silences, d’angoisses, d’insécurité, d’incertitudes sur l’avenir, qui viennent s’ajouter aux peurs liées à la guerre, de moins en moins latente, qui déchire le pays.

L’auteur a même dû subir des moments de pleine obscurité symbolisés, dès la petite enfance (signe prémonitoire ?), par cette chambre toute tapissée de noir (!) où il redoutait les bombardements de la guerre 39-45. Il sera souvent confronté à la violence, d’abord celle que l’on pourrait qualifier « d'ordinaire » (l’égorgement d’un cochon puis de son mouton ; les combats de boxe ; …) qui bientôt fera place à la violence bien plus terrible liée à la guerre : il sera en particulier le témoin direct d’un attentat très meurtrier en plein cœur d’Alger et d’une effroyable exécution sommaire en pleine rue qui laissera en lui une trace indélébile. Et cela s’achèvera par le déchirement injuste et extrêmement douloureux de l’exode qui suivra l’indépendance de l’Algérie.

 

Philippe BOURGOIS résume, dans les quelques phrases essentielles d’une superbe métaphore, ce destin en clair-obscur qui « se déroule comme la musique du carton perforé d’un orgue de Barbarie. La vie, qui devait être harmonieuse, sait se montrer incohérente, terne ou brillante, agréable ou dangereuse, au gré du rythme donné à la manivelle de la serinette. Elle chante juste ou non, prisonnière des perforations qui la parcourent, aléas souvent distribués par un sort manichéen.»

Et c’est ce destin qui a fait de lui un être à la personnalité contrastée. D’abord un enfant et un adolescent manquant de confiance en lui, ayant peur de mal faire, se sentant souvent seul, différent, « étranger » , parfois désemparé, abandonné, victime d’un certain mal-être existentiel. Heureusement il est aussi mené par un fort besoin de spiritualité et par la recherche d’un idéal supérieur. Son éducation certes excessivement sévère, exigeante et rigoureuse, l’a tout de même amené à se forger un caractère courageux, opiniâtre, volontaire, tenace et également honnête et droit. Ces atouts lui ont permis, en dépit des vents et marées contraires, de devenir un adulte capable d’autonomie pour assurer toutes les pénombres de la vie et prendre en mains son existence. Il a ainsi pu développer ses aptitudes et talents naturels de curiosité pour la modernité, d’ingéniosité, de créativité afin d’en tirer de tangibles satisfactions à travers, en particulier, l’exercice de la technologie dont il a fait une passion. Et, pour finir en apothéose, la rencontre et le mariage avec Jacqueline contribueront à redonner lumière et espérance à sa vie en éclairant par l’amour le chemin s’ouvrant sur l’âge adulte…

 

Mais ce livre a bien d’autres dimensions ; il est traversé, et ce n’est pas là son moindre intérêt, par ce que l’on a appelé les « événements d’Algérie », c’est-à-dire la guerre civile qui a déchiré le pays de 1954 à 1962. Cette guerre d’abord latente puis de plus en plus présente surgit à tout moment dans le cours de la narration des souvenirs intimes et privés, comme un leitmotiv lancinant et angoissant. Philippe BOURGOIS analyse à l’époque ces événements avec lucidité, mesure, une grande honnêteté intellectuelle et une belle objectivité ce qui est tout à son honneur car en qualité de Pied Noir il est forcément intégré à un camp. Il parvient à faire la part des choses sans prendre parti mais très conscient des réalités dont il n’est que le spectateur impuissant. L’une de ses phrases synthétise fort bien l’analyse de cette situation : « Alors que dans un camp la conquête plus que centenaire triomphe, dans l’autre camp l’esprit de reconquête de ce qui a été spolié par l’Histoire se construit et s’affirme ». Ce qui ne l’empêche pas de dénoncer clairement, et avec la même force, les exactions commises de chaque côté mais, bien sûr, de laisser transparaître aussi, sans retenue, l’amertume légitime mais lucide et résignée ressentie au moment de l’exode. Il dira pour conclure, avec une extrême concision, ce chapitre désastreux de son destin : « Le passage de l’Histoire d’avant à l’Histoire d’après » a correspondu à « la fin d’une enfance heureuse en Algérie et à la perte de mon Algérie ».

 

Car ce livre est aussi un véritable hymne d’amour à la ville d’Alger et à toute l’Algérie, ce pays austère et cependant lumineux et extrêmement attachant dont l’auteur décrit les paysages, les ambiances et les habitants avec une tendresse et une chaleur tellement touchantes, émouvantes, et ne se démentant jamais tout au long des pages, qu’elles donnent vraiment envie … d’y aller un jour en vacances, pourquoi pas ?

 

Enfin il faut insister sur l’exceptionnelle qualité d’écriture de cet ouvrage. Philippe BOURGOIS s’exprime dans une langue simple et limpide, précise et efficace, sans aucune affèterie, avec, de temps à autre, de délicieux glissements vers une poésie qui lui est très naturelle. Un humour discret affleure par endroits, teinté parfois d’une ironie de bon aloi, qui n’y paraît pas mais fait mouche. La narration est avantageusement émaillée, de ci, de là, de remarques, notations et aphorismes philosophiques ou métaphysiques qui viennent en point d’orgue, ou en épilogue, de certains événements ou de certaines situations. Et l’auteur s’appuie parfois, avec justesse et à bon escient, sur certaines citations très bienvenues d’Albert CAMUS dont on n’est pas du tout étonné qu’il se sente très proche.

 

J’ai vraiment beaucoup appris de ce livre qui m’a permis de réviser (il n’est jamais trop tard !) certains à priori politiques ou idéologiques que j’avais sur cette période de la guerre d’Algérie, préjugés essentiellement dus à l’ignorance ou la méconnaissance. J’y ai vraiment « rencontré » (au sens profond du mot) un « honnête homme », très sensible, lucide, tolérant,  au langage mesuré et précis, dont les souvenirs m’ont parfois très agréablement replongé dans ma propre jeunesse ; un homme qui ne cache aucune des difficultés et des souffrances endurées mais qui en parle sans ostentation, sans lamentations, avec, au contraire, une grande pudeur ; un homme qui garde au cœur des blessures qui jamais ne cicatriseront, c’est sûr, mais qui ne l’ont pas empêché, au contraire, d’assumer pleinement le reste de sa vie avec courage, rectitude et générosité.

 

Un homme droit et lucide.

Un écrivain-poète talentueux.

Un vrai beau livre, essentiel.

 

Bernard APPEL

 

 

Poète (https://sites.google.com/view/bernardappel/accueil)

Adhérent de plusieurs associations poétiques et littéraires
(Associations Plumes à Connaître, SPAF, Les Amis de Verlaine, Académie Léon Tonnelier)

Membre de plusieurs jurys de concours de poésie

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