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Alger s'éveille dans les brumes d'un beau début d'automne.

Le pâle soleil matinal, prisonnier du voile fragile abandonné par la nuit, marque timidement les arcades du front de mer. Quelques palmiers se découpent sur un ciel teinté de violet et d’orange. Des fantômes de navires, cargos, paquebots ou menaçants navires de guerre se devinent à peine dans cette pénombre colorée. Masses inertes et estompées, tapies çà et là au gré de quais invisibles, ces spectres attendent impatiemment de renaître à la lumière retrouvée.

Mon pépé avait un phonographe qu'on utilisait rarement et seulement si on trouvait une aiguille à fixer à son bras ! Un disque, au milieu des disques de musique militaire – ah ! Sambre et Meuse ! –, retenait toute mon attention. Sur ce 78 tours, Lucie Dolène interprétait Un jour mon prince viendra extrait de la version française du film d'animation de Walt Disney. Je me faisais mon propre film en écoutant sa voix chanter les aventures de Blanche Neige et les sept nains.

Les instances politiques ont toujours ignoré les grands rendez-vous qui auraient pu changer le destin d'un pays entier. Mon pays, la France, n'a pas su protéger ses enfants qu'elle avait installés depuis plus d'un siècle sur cette merveilleuse terre d'Afrique. Des centaines de milliers d'anonymes quittent maintenant leur terre natale dans la précipitation d'une histoire mal ficelée. Ils seront hués par ceux-là mêmes qui les avaient envoyés faire prospérer un territoire au seul profit de quelques-uns.

Comment imaginer toute la misère du monde rassemblée sur un fragile pont de navire ?

Comment parler du désespoir de ces dizaines de familles parquées comme des bêtes par un sort qui les laisse démunies de leur quotidien et de leur passé ?

Ils serrent fiévreusement leur vie jalousement cachée dans une vieille valise sortie d'on ne sait où. Ils sont là, sans le moindre droit, sans le moindre bien, sans même le pouvoir de dire Non ! Ils se laissent guider par le destin et la seule liberté qui leur reste est celle de leur propre mort.

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