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RETOUR DE LECTURE

en guise de préface

par Gérard Dalstein

"Portraits". Titre court, mais qui correspond bien aux sujets traités. Ce recueil offre en effet une grande fresque de portraits. Je retiens ici deux textes à mon sens admirables, des modèles du genre ! "Tata Suzon" et "Lutte des classes".

 

Pour le premier, bien qu’écrit en prose, il s’en dégage à travers un choix de mots pourtant simples une incroyable poésie qui donne corps au personnage. Il apparaît dans la réalité. J’ai cru la voir assise en face de moi. Je la connais peut-être de tout temps. Enfant, j’en ai certainement goûté quelques traits saillants. L’illustration m’a également frappé au niveau de sa parfaite harmonie avec le texte. Admirable page. Vous pourrez dire à "Tata Suzon" que j’ai passé un heureux moment avec elle.

 

Pour le second "Lutte des classes", un qualificatif m’est venu spontanément en fin de lecture ; "superbe" !

Il est vrai que je suis sensible et engagé dans la transmission de l’histoire du monde ouvrier. Mais ce goût particulier n’explique ma sensation qu’en petite partie. Je m’en voudrais de disséquer ce texte, et ainsi risquer de tuer la poule aux œufs d’or. Les contrastes sont violents, mais le discours est fluide, empathique. Pas de jugement. Nul besoin de révolte ou d’indignation. Vous m’offrez un superbe diptyque dont la chute ne se veut pas moraliste, pas plus que le reste du texte. Je vous vois là comme un peintre prenant de la distance devant son chevalet, une distance qui n’est pas indifférence, au contraire. C’est un discours humaniste.

Excellent, avec une illustration sobre et suggestive, dans une même forme de diptyque.

Je m’arrêterai encore toutefois sur le texte "Galerie des mots perdus" en raison de son caractère très spécifique qui lie le genre calligramme, expression relativement moderne, à un bestiaire de mots peu usités qui donne l’impression d’aborder un autre continent perdu dans le temps. En le lisant d’une façon entièrement spontanée, sans chercher à déchiffrer, j’ai éprouvé la sensation de lire du François Villon, un texte d’un autre âge aux mots mystérieux sortis de grimoires.

C’est très bien amené, très bien composé, et impose son charme.

Ici vous avez réalisé une œuvre très originale, bien construite, aux effets heureux. Avec une invitation à la découverte !

 

Pour rester dans le même domaine, j’ai rencontré tout au long de la lecture un vocabulaire riche et varié qui sert la qualité de l’expression poétique, ainsi qu’à la transmission de notre belle langue. Nous en avons besoin plus que jamais !

 

Je citerai aussi parmi les portraits qui m’ont particulièrement touché, "Le SDF", "Violence", "L’immigré", "Vieillesse", "Le viol", le tout avec des passages d’un lyrisme qui séduit et ravit.

 

Je ferai une place particulière à "Souffrance" en raison d’une construction qui mérite à mon sens que l’on s’y arrête. Le sujet est dur, mais l’alternance continue du rythme contribue à accentuer cette dureté tout en l’élevant au niveau poétique. Ici la séquence des ruptures de rythme produit tout son effet. Très bien senti et écrit ! L’utilisation de ces ruptures de rythmes fait partie des petits "secrets" de la poésie, et il faut posséder une bonne maîtrise de l’expression poétique pour l’utiliser à bon escient. Bravo.

Je dirais en conclusion que je garde la sensation d’un poète moderne dans le choix de ses sujets. Vous me faites découvrir un certain exotisme en mon propre pays, de ce que je pourrais absorber de mon quotidien avec habitude, distance, voire répulsion, et cela sans jamais tomber dans les excès d’une modernité de tendance.

Et je sens également un poète classique dans la maîtrise d’une belle langue dont on sent tout le respect que vous lui portez dans son histoire et dans la richesse de ses possibilités d’expression.

Vous chantez votre temps avec ses incohérences, ses douleurs, et ses cris ! Que serait le poète sans ses cris ?

Mais le remarquable tient dans le fait que vous savez rendre ces cris audibles, sans chercher à y faire adhérer le lecteur dans une certaine violence, lui laissant toute liberté d’appréciation. Vous n’imposez pas votre douleur. Vous la transcendez.

 

Et à votre endroit me reviennent ces vers de la merveilleuse poésie d’Aragon "Les oiseaux déguisés"

 

Ses secrets partout qu'il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé

 

Alors chantez, encore, avec les authentiques cris du cœur et l’élévation de l’esprit !

 

Gérard Dalstein

 

Ancien président du jury national

et international francophone

de la Société des Poètes et Artistes de France

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